MATEI NEGREANU
SCULPTER LA LUMIÈRE PAR LE VERRE
Devant nous, une exubérance contrôlée, un affrontement silencieux, une affinité détonante, les volumes rencontrent la ligne dans une explosive sérénité.
Comme un chef d'orchestre, un metteur en lumière, Matei Negreanu semble sculpter les vides plus que les pleins, les confrontations et les ententes plus que les matières.
Le verre est ainsi l'instrument principal que Matei Negreanu vient faire vibrer avec d'autres matériaux pour créer des variations symphoniques sans mesures. L'opacité rencontre la transparence sans hasard, dans un équilibre absolu où sans hésitation, la lumière s'immisce avec une certaine fantaisie. Les interactions sont mises à nue, rendues visibles par la matière : le verre
Julie Dalouche - 2018
L'image du "verre à rêver" s'efface devant la pratique du même matériau, apte à traduire des intentions plus précises
LE VERRE
Le verre, symbole de clarté, de pureté, de sensibilité ... et voici que quelqu'un s'en approche brutalement, utilisant le marteau et la pointe, il brise des morceaux, il le fend, le fait voler en éclats, avec la scie de diamant, comme une fraise, il creuse à l'intérieur des lignes qui semblent être des blessures sanguinolentes.
Il fait violence au bloc de verre froid et lisse, il semble vouloir le mutiler jusqu'à le rendre méconnaissable. Est-ce un acte d'agression, de protestation ? Une négation véhémente de la beauté du matériau, un affront fait à la vision habituelle ?
Rien de tel.
Pour qui regarde une deuxième fois, c'est l'évidence : ici, rien n'est laissé au hasard, pas même l'imprévisibilité de la violence du geste.
"Une oeuvre d'art n'est lisible que par approfondissements successifs"
UN AUTRE REGARD
Dans le jeu des symboles et des interprétations où notre inconscient s'avère peu adaptable, il est important de choisir son propore niveau de lecture de l'œuvre; en particulier pour les sculpture verre/plomb. Leur forme extérieure et son rapport à l'environnement se prolongent par l'ouverture d'un second espace, intérieur, délimité par les parois du plomb et les entailles de la scie.
La première impression de violence se dissipe à mesure que l'observation se précise : la nature véritable de ces œuvres ressort toujours plus distinctement.
Les cassures et les éclatements prennent un caractère de logique inéluctable, ils semblent être des moyens mis en œuvre consciemment pour guider la lumière, pour créer des corps contenant de la lumière. Ce qui reste, c'est l'effet de dynamique, de force agitante. Cette force est positive, elle remplit la structure, elle ne l'attaque pas.
Le YIN & LE YANG
Après cette série de "vagues" au caractère éminemment yin, le yang surgit bientôt sous la forme des "Colonnes de Jupiter" et autres oeuvres "Sans titre", ce qui ne trompe personne, qui sont, elles, parfaitement phalliques : lingams.
"C'est une évidence de dire que c'est cette volonté d'aller plus loin qui fait les véritables artistes"
CONTINUITÉ
Abstraite et revendiquée comme telle, l'œuvre de Matei Negreanu l'est assurément, même si, toute forme de représentation n'en est pas absente.
Pourrait-on aller jusqu'à dire qu'elle participe à une tradition expressionniste abstraite, dans la lignée de Chilida ou de Louis Bourgeois ? Peut-être.
Le corps, la gestuelle, l'attaque directe du matériau jouent, en tout cas, un rôle fondamental dans l'élaboration de ses pièces et la plupart ont une qualité calligraphique qui renforcerait cette thèse.
Il y a toujours une limite que Matei Negreanu n'hésite pas à franchir c'est celle de l'imagination. Dès qu'il arrive au bout d'une route, il ne s'attarde jamais, il en prend une nouvelle.
Au fond, c'est comme cela qu'il a qu'il a toujours vécu, qu'il a envisagé la vie, l'exil.
Une manière de se tenir, de voir devant, de chercher et souvent de trouver.
"Les oeuvres les plus singulières ne sont pas nécessairement dans les galeries dites d'art, mais dans d'autres, plus sensibles au décoratif et au design"
LE GESTE
Se jouant des propriétés du verre avec une grande dextérité, Matei Negreanu provoque, encourage des rencontres de lignes, de formes, de matières et s'amuse presque de leur réaction avec les contraintes, nombreuses, que lui donne le verre.
Son outil de prédilection devient un partenaire de jeu inépuisable qu'il pousse à bout, qu'il teste au-delà de ses limites : plus la contrainte est grande, plus la liberté du geste est proche.
C'est avant tout ce geste de sculpteur, cette recherche incessante qui prend forme, une forme quelque peu mystérieuse, qui ne nous raconte pas d'histoires, elle se livre sans excès de langage, sans sous-titres ; les lignes, les volumes se donnent dans un absolu, à notre regard.
L'UNIVERS
Dessinateur, coloriste et sculpteur, Matei Negreanu a un sens aigu de plasticien et crée un univers onirique avec une douceur poétique qui résonne malgré la robustesse des matériaux. Il cherche à amplifier la sensation perceptive, mêlant abstraction, couleur, formes géométriques, lignes jusqu'à produire une étrangeté. Une poésie aux teintes rares comme le rose, le gris, le vert.
Il aime découvrir une nouvelle technique, une autre approche du verre et surtout, il aime faire évoluer les formes. Il veut tout essayer, toujours avancer. Au fil du temps, son œuvre se modifie graduellement tout en gardant une certaine cohérence. Il ne fait que ce qui est en accord avec son expérience : il cherche, il trouve, il ose, il réalise.
Matei Negreanu
